LA VALISE AUX LIVRES
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Et vous passerez comme des vents fous, Clara Arnaud
4 déc. 2023
Temps de lecture : 4 min
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« L’ours c’est un peu l’esprit de la montagne. Et cette ourse-là, c’est une vieille âme, j’en suis sûre. » (Editions Acte Sud, P.211)
Cette semaine, je pose ma « valise aux livres » au cœur des Pyrénées - et plus précisément au village enclavé d’Arpiet. Clara Arnaud nous y transporte à travers les pages de son nouveau roman, Et vous passerez comme des vents fous.
Le récit gravite autour de trois personnages principaux : Jules, montreur d’ours dansant qui rêve de l’Amérique, Gaspard, paysager reconverti berger et Alma, docteure en biologie comportementale des ours. Mais les deux héros de ce livre sont, la montagne, magnifiquement décrite par Clara Arnaud grâce à une écriture très visuelle et sensorielle, et l’ours. Elle connaît bien la région et cela se ressent : nous sommes complètement immergés au cœur de ces paysages verticaux, territoire des ours. Leur réintroduction divise les montagnards et les différents personnages ne sont que prétexte pour nous présenter les différents rapports à l’ours, toutes les croyances et légendes, mais aussi la fascination et la peur qu'ils incarnent.
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« L’ourse est sa muse, sa sœur, sa fille. Elle est née une première fois dans la tanière, créature glabre tout juste sortie du ventre de sa mère, et la capturant, il lui a offert une seconde naissance, à son monde, celui des hommes. » (P.158)
C’est cette photo (1ère page du livre) qui a inspiré le sujet du nouveau roman de Clara Arnaud qui s’intéresse ici à la relation homme-ours.
Le récit débute naturellement sur Jules, en 1883, capturant un ourson dans sa tanière. A travers ce personnage, nous découvrons un métier itinérant d’antan, pratiquement disparu de nos jours. Jules a grandi entouré des montreurs d’ours de son village. Très jeune, il rêve de cette carrière de saltimbanque, de l’Amérique, et tout simplement de quitter l’isolement de son village et la pauvreté. Il élève avec tendresse son oursonne et une grande complicité les lie jusqu’au moment de la ferrade* qui marquera l’asservissement de l’ours à son maître et le début de son dressage. Son destin le conduira des routes de France jusqu’en Angleterre puis jusqu’ en Amérique.
* ferrade : technique qui consiste à percer le nez de l’animal pour un passer un anneau
Parallèlement, nous découvrons deux autres personnages, contemporains, qui vivent « sous le règne » de la Negra, une ourse « reine » qui va chambouler leur vie.
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« La seule expérience dans sa vie antérieure qui l’ait préparé à être berger était celle du voyage. » (P.112)
Après avoir passé quelques années dans la région Parisienne, Gaspard revient avec sa famille dans son village natal. Devenu berger, il nous entraîne d’estive en estive, ces pâturages de haute montagne dans les Pyrénées, lors de la transhumance* qui permet l'engraissement et la reproduction du troupeau.
Cette vie rurale et nomade n’a rien de romantique, et la liberté qu’elle offre est toute relative car « les bêtes vous enchaînent à leur manière » (P.28). Gaspard a tout appris auprès de Jean, un vieux berger qui « ne gardait pas les brebis, mais était brebis » (P.58), qui personnifie le savoir-faire traditionnel, avant que les bergers ne deviennent de simples employés et les bêtes de simples numéros.
*transhumance : déplacement périodique des brebis entre les pâturages d'hiver et ceux d'été
La vie de berger est âpre. Il faut faire face aux caprices de la météo, renforcés par le réchauffement climatique dont le « soleil assassin » assèche et dérègle tout, modifiant les habitudes des troupeaux qui doivent toujours monter plus haut pour trouver nourriture et eau. « Même dans ces altitudes sanctuaires, la montagne était sèche, la vie en sursis. » (P. 152). Il faut également veiller aux infections, aux blessures et aux prédateurs qui menacent les troupeaux dont l’ours, avec lequel les montagnards ont désappris à vivre. L’écriture talentueuse de Clara Arnaud, nous transporte au cœur de vallées de pâturages, de forêts denses et sur les crêtes montagneuses avec Gaspard, ce « berger pris de vertige » (P.25), ses chiens fidèles et son troupeau. Il a connu un drame lors de sa quatrième saison de transhumance et doit se faire violence pour remonter là-haut et affronter ses peurs.
« Alma avait toujours eu l’humeur atmosphérique, se laissant bercer et envahir par les lumières, les vents, les cieux, la densité du couvert végétal. Dans les plateaux minéraux, elle se sentait ramenée à l’essentiel, les pluies torrentielles la plongeaient dans l’euphorie, les cieux d’hiver la rendaient nostalgique ; en cet automne la mélancolie dominait » (P. 302)
Alma, docteure en biologie comportementale, est étrangère au village. Surnommée la fille aux ours par les villageois, sa mission est d’observer les ursidés réintroduits dans les Pyrénées et de les cartographier pour mieux les comprendre et les protéger.
La cohabitation imposée avec les ours réintroduits n’est pas facile. Les montagnards ont perdu l’habitude de vivre à leurs côtés et les attaques répétées de la Negra n’arrangent rien. Malgré les pressions de son travail et les menaces de certains villageois qui s’opposent à présence des ours, elle est complètement investie par sa mission d’observation et développe une obsession pour la Negra. On marche dans ses pas sur la piste des ours, apprenons des choses passionnantes sur ces plantigrades et découvrons l’envers du décor de son métier.
La montagne est le théâtre où se joue le destin de ces trois personnages, indissociable de celui de l’ours. J’ai beaucoup apprécié ce roman dont les pages m’ont transporté dans les montagnes majestueuses des Pyrénées. En plus d’être une véritable ode à la nature, ce roman est riche en documentation. On y découvre avec intérêt les métiers peu connus des trois personnages.
En refermant ce livre, je n’ai qu’une envie : celle de gagner les altitudes montagneuses.
« Qu’est-ce qu’il est dans ces montagnes, il ne fait qu’y passer, il s’y cogne, il y hurle, de joie, de désespoir, il est en rage, en paix. » (P.369-70)