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L’allègement des vernis, Paul Saint Bris

4 janv. 2024

Temps de lecture : 3 min

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« Monna Lisa baigne dans une marée verdâtre. Vous avez parlé cent fois de la restaurer, mais jusqu’ à présent vous n’êtes jamais passés à l’action. [..] Pourtant c’est exactement ce que vous devriez faire » (Editions Philippe Rey, P.46)

 

Sélection du Prix Roman Cezam 2024



Cette semaine, ma valise aux livres sert d’écrin à L’allègement des vernis de Paul Saint Bris. Son premier roman fait partie de la sélection du Prix Roman Cezam 2024 - une liste de 10 titres éclectiques de petites et moyennes maisons d'éditions - dont je suis membre du jury à la médiathèque de mon quartier.

 

L'histoire de L'allègement des vernis tourne autour d'une pléiade de personnages qui travaillent au Louvre et qui gravitent autour du tableau de La Joconde. J'ai ressenti une douce nostalgie en lisant ce roman, qui m'a ramenée aux années où j'étais guide conférencière et où je guidais régulièrement au Louvre. C'est donc avec plaisir que je parcours à nouveau la salle des Caryatides avec Homéro qui effectue un ballet autour des statues grecques sur son autolaveuse, ou la salle des Etats où est exposée La Joconde, ou que je déambule dans la Grande Galerie ou encore sous la Pyramide de Pei. Nous découvrons les coulisses du Louvre et le roman regorge d'anecdotes sur Monna Lisa qui raviront les amateurs d'histoire et d’art.

 

 

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Le personnage principal, Aurélien, est directeur du département des Peintures. Cet homme « déjà périmé dans sa cinquantaine imminente », « était entré au Louvre pour sa propre protection, pour se mettre à l’abri du monde changeant. » (P61). Mais la présidente-directrice du Louvre, Daphné Léon-Delville, qui aime à proclamer « Avant moi, c’était l’âge de pierre ! » dépoussière l'institution en permettant aux stars de la pop d'y tourner leurs clips et aux créateurs de mode d'y organiser leurs défilés. Elle inaugure une nouvelle ère pour le Louvre : le musée devient « une marque puissante et attractive », présente dans les médias et sur les réseaux sociaux. Pour relancer la fréquentation du musée, elle décide d'alléger le vernis de La Joconde, icône du Louvre.

« Redonner ses vraies couleurs à la Joconde, c’est créer un événement planétaire… » (P.46). Chargé à contrecœur de cette mission, Aurélien se rend en Toscane à la recherche de Gaetano Casani, le seul restaurateur capable de s'attaquer à ce chef-d'œuvre.


Ce restaurateur de renom sera-t-il à la hauteur des attentes du monde entier et à celle du face à face avec le chef-d'œuvre et son créateur, Léonard de Vinci ?


 

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Paul Saint Bris livre avec brio une fine analyse de la boulimie visuelle de notre époque. La confrontation entre les idéaux d'Aurélien et de Daphné concernant les médias et les réseaux sociaux est intéressante et donne à réfléchir. Daphné joue le jeu en brouillant les frontières entre vie privée et vie professionnelle, et n'hésite pas à faire la promotion du musée à travers elle-même. Elle fait la couverture des magazines, enchaîne les interviews et est active sur les réseaux sociaux. Aurélien, quant à lui, est consterné. « Qu’importe si les populations narcissiques, absorbées par leur reflet, tournaient le dos aux plus beaux chefs-d’œuvre de la peinture. » (P. 62)

 

L'auteur s'interroge également sur notre rapport au changement. Dans le débat sur l'allègement du vernis de La Joconde, deux écoles de pensée se confrontent : les conservateurs allergiques au changement et ceux qui y sont favorables. « « Pourquoi changer ? » et cela ne concernait plus La Joconde, non, cela concernait le monde tout entier. Alors son timbre se brisa et sous le coup de l’émotion et on s’aperçut qu’il sanglotait. » (P.109)

 

Et puis, bien sûr, il met en lumière notre société effrénée, narcissique, consommatrice d'images et notre rapport à l'art. Un art désormais accessible à tous. Faut-il comprendre une œuvre d'art pour l'apprécier à sa juste valeur, ou peut-on simplement « expérimenter » l'art ? « Il songea que les chefs-d’œuvre n’avaient pas été conçus pour être observés dans les conditions du monde actuel : quelque part, il devait admettre que le concept même de musée, en les offrant à la vue de tous, avait dénaturé la relation aux œuvres. » (P.24)



Paul Saint Bris signe un très bon premier roman, bien documenté et bien écrit, qui m'a immédiatement donné envie de revisiter le Louvre pour m'y perdre et renouer de façon sincère avec l'art.


« Elle est l’art, sa figure incarnée. Ils la miment, la copient, l’adulent ou la détestent. Ils n’en détournent jamais le regard. » (P.45)


Que pensez-vous de ce tableau et du sourire énigmatique de Monna Lisa ?

 

Quelle est votre peinture préférée ? Quel musée préférez-vous ?


Deux questions difficiles, j'en suis consciente... J’attends avec impatience vos commentaires.

A bientôt pour une nouvelle chronique.

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