LA VALISE AUX LIVRES
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L’inconnue du portrait, Camille de Peretti
19 mai 2024
Temps de lecture : 7 min
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Rencontre littéraire à la librairie Coiffard – Nantes, le 16 mai 2024
« Il y a celui que nous sommes et celui que nous nous rêvons être, et les deux coïncident si peu que le second empêche toujours le premier de jouir de qui il est. » (Edition Calmann Levy, P.161-162)
Camille de Peretti a publié son premier livre, Thornytorinx, en 2004, et publie depuis un nouveau roman tous les deux ans et demi environ. Elle a découvert la littérature assez tardivement (ses parents n'étaient pas lecteurs et elle n'avait pas de livres à la maison) grâce à ses professeurs de français. Elle rêve de devenir écrivain et se promet d'écrire dans tous les styles littéraires. Elle explore un nouveau style littéraire pour chaque roman, et lorsqu'elle écrit, elle commence par choisir la forme avant l'histoire. Son éditrice n'était pas sûre qu'elle puisse tenir sur le long terme cet objectif et préférait ne rien dévoiler, mais la variété de ses œuvres a été remarquée, et la démarche d'écriture de Camille de Peretti n'est plus un secret pour personne! Jusqu'à présent, elle n'a écrit que dans des genres littéraires qui lui plaisaient, et elle avoue que pour les genres littéraires à venir : heroic fantasy, S.F, littérature érotique, etc... cela va être de plus en plus difficile !
Voici la liste de ses précédents romans. Honnêtement, la contrainte qu'elle s'impose en changeant de forme à chaque roman m'a complètement emballée, et j'ai très envie de découvrir toute sa bibliographie !
une biographie : son premier roman, Thornytorinx, 2005, qui raconte son parcours en tant que boulimique anorexique
un roman épistolaire : Nous sommes cruels, 2006, qui s'inspire librement des Liaisons dangereuses de Laclos
un roman oulipien : Nous vieillirons ensemble, 2008, reprend les contraintes de La Vie mode d'emploi de Georges Perec et qui évoque la vie en maison de retraite
une biographie historique : La Casati, 2011
un roman qui obéit aux codes Beatnik - écrit d’une traite - et prend pour modèle Sur la route de Jack Kerouac : Petits arrangements avec nos cœurs, 2014, qui relate la fin d'une histoire d'amour entre deux jeunes gens qui traversent les États-Unis en voiture. Elle a réécrit ce livre 12 fois d’une traite car il est difficile d’éviter répétitions et incohérence sans relecture ! Elle avoue que jusqu’à présent ce fut la contrainte la plus difficile
un roman naturaliste : elle a lu Le manifeste du naturaliste et toute la bibliographie de Zola avant de passer au scalpel Nana son préféré de l’auteur qui a servi de modèle notamment pour les scènes de corsetage pour Blonde à forte poitrine, 2016
un roman historique : Le Sang des Mirabelles, 2012, qui se déroule au douzième siècle et qui raconte les difficultés rencontrées par les femmes à cette époque. Elle a passé deux ans a étudié dans le Moyen-Age et elle s’est tellement immergé dans le XIIème siècle que cela a bien failli lui coûter un divorce !
un roman ludique : Les Rêveurs définitifs, 2021, qui questionne la puissance de l’imaginaire, du rêve et de la littérature.
Mais revenons à L'inconnue du portrait, son neuvième roman publié en janvier 2024, qui a remporté le Prix des romancières, le Prix du Roman Marie Claire et le Prix Maison de la Presse. Dans cette saga qui suit les membres d'une famille sur plusieurs générations, l'auteur reprend tous les codes du genre : ascension sociale fulgurante, drames et secrets de famille.
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Ce roman qui débute avec le mystère entourant le portrait d’une jeune femme part d’un fait divers vrai autour d’un tableau de Gustav Klimt.
En 2019, un ami lui envoie un article publié dans The Guardian sur la toile intitulée "Portrait d'une dame" (couverture du livre), car la jeune femme brune aux yeux verts lui ressemble. Intriguée par ce tableau, volé puis réapparu deux décennies plus tard, elle fait des recherches et décide que cette histoire «qui coche toutes les cases du romanesque» constituera le squelette de son prochain roman !
Histoire du tableau :
La première version du "Portrait d'une dame" de Gustav Klimt, peint à Vienne en 1910 après un séjour à Paris, est fortement inspirée par les œuvres de Toulouse-Lautrec et représente une prostituée aux cheveux lâchés, très fardée, un chapeau sur la tête et un léger voile couvrant ses épaules nues. Il a disparu pendant la Seconde Guerre mondiale - comme beaucoup d'autres tableaux - et a donc été déclaré perdu.
En 1996, une étudiante italienne fait le rapprochement entre la version du tableau que nous connaissons aujourd'hui à la Galerie d'Art Moderne de Plaisance, et la première version du tableau présentée dans un catalogue, et est convaincue qu'il s'agit d'un seul et même tableau. Elle convainc le directeur du musée de passer le tableau aux rayons X dans un hôpital voisin et ils constatent qu'il s'agit bien d'un repeint. Le peintre l’a repeint en 1917 juste avant sa mort. Alors qu'une exposition est en cours, le tableau est volé en 1997. Le voleur se dénonce et déclare que le tableau réapparaîtra deux décennies plus tard. En 2017... rien, en 2018... toujours rien, et puis en 2019 le tableau est découvert par un jardinier caché dans une bouche d'aération du mur du Musée de Plaisance.
On ne sait ni qui était la jeune femme du tableau, ni quels mystères entourent l'histoire mouvementée de son portrait.
Lorsque Camille de Peretti commence à s'intéresser aux "trous" de cette histoire, elle débute son enquête en lisant tout ce qu'elle peut trouver sur le peintre et se rend compte de deux choses : Gustav Klimt n'a jamais repeint ses œuvres, et la théorie de l'homme amoureux qui décide de repeindre le tableau de sa bien-aimée après sa mort tragique - théorie populaire qui explique pourquoi l'artiste aurait repeint son tableau - ne tient pas la route. En effet, Gustav Klimt a été (très) souvent amoureux, et il a toujours peint de nombreuses esquisses de ses maîtresses-muses, mais il n'y en a pas pour cette jeune femme. De plus, il ne peint que des portraits de bourgeoises juives et sur commande.
Ce n'est qu'un an et demi après avoir commencé son roman qu'elle s'est rendue à Vienne pour pouvoir enfin admirer les peintures de Gustav Klimt (il n'y a pas de tableaux du maître à Paris). Une visite guidée privée a également été organisée au musée de Plaisance, et elle est vraiment tombée sous le charme de ce tableau, dont émane une douceur vibrante.
Son rapport à l'art :
Sans dévoiler l'intrigue, elle décrit à un moment donné deux personnages visitant ensemble des musées, mais chacun à sa manière.... Qu'en est-il de l'auteur ?
Elle a découvert les musées assez tardivement, vers l'âge de 25 ans. Elle aime s'y rendre seule, afin de parcourir les galeries à son rythme, dans le silence. Mais, mère de 3 enfants, elle visite régulièrement des musées et des expositions avec eux.
Si elle pouvait voler un tableau, elle serait tentée de voler celui qui a inspiré son dernier roman, mais elle serait certainement en tête de liste des suspects ! Alors, elle volerait certainement "Vénus et Cupidon" de Bronzino, exposé à la National Gallery de Londres, car lorsqu'elle vivait à Londres, elle avait l'habitude de passer au musée en rentrant chez elle, et elle ne manquait jamais de s'arrêter devant le tableau, découvrant de nouveaux détails à chaque visite.
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Camille de Peretti nous fait voyager à travers trois pays : du Manhattan de la Grande Dépression à la Vienne de 1900, en passant par le Texas des années 1980 et l'Italie contemporaine, et imagine, sur 110 ans et 3 générations, le destin de cette jeune femme et de sa descendance. Une fresque magistrale de secrets de famille, de succès fulgurants, d'amours contrariés, de disparitions et de tragédies retentissantes.
Dans cette saga, la maîtrise du suspense par la rétention d'informations est essentielle. Pendant plusieurs mois, elle a travaillé sur son mur de travail à la structure de son récit à l'aide de cartes de couleur. A quel moment donner telle ou telle information ? Son éditrice l'a aidée, mais comme elle n'avait plus assez de recul, elle a fait appel à une autre éditrice. Camille de Peretti n'a pas écrit une ligne tant que son intrigue n'était pas parfaitement ficelée, c'est-à-dire une histoire fluide avec une parfaite dose de suspense jusqu'à la dernière page !
Comme pour ses précédents romans, Camille de Peretti a fait beaucoup de recherches, de lectures, de documentation et de rencontres pour rendre son livre plausible et le plus proche possible de la vérité.
Ainsi qu'elle l'indique sur sa page de remerciements, Camille de Peretti s'est adressée à un généticien qui a résolu ses problèmes d'ADN, et à Philippe Esperança, expert judiciaire en morphoanalyse des traces de sang, qui l'a conseillée sur la reconstitution de sa scène de crime. Il lui a recommandé de saigner l'arcade sourcilière plutôt que le nez (ça saigne mieux !). Quant aux spéculations boursières, au shortage d'actions et au crash de Wall Street, elle a fait appel à son mari, banquier, et c'est lui qui a écrit la première version du paragraphe expliquant tous ces détails, mais son éditrice ne l'a pas compris, et elle l'a finalement réécrit. Cette partie du roman a été l'une des plus difficiles à écrire. Camille de Peretti ne lésine pas sur les recherches en amont, et n'hésite pas à solliciter des spécialistes. Elle a le bras long et sait faire parler les gens ! Mère d'un petit garçon atteint d'une maladie génétique très rare et son livre faisant la part belle à l'ADN, elle dédie son livre à Rosalind Franklin, la femme qui a découvert l'ADN (son travail lui a été volé).
Elle a également lu beaucoup de littérature viennoise des années 1930, et c'est une phrase du Monde d'hier de Stefan Zweig - sur la société aristocratique viennoise des années 1900 - qui lui a donné l'idée du personnage de Martha, employée de maison. À l'époque, les filles se mariaient très jeunes et les hommes très tard, entre 30 et 35 ans. Mais il fallait bien que jeunesse se passe : "La marchandise féminine s’offrait publiquement à chaque heure et à tous les prix. Pour les messieurs en haut-de-forme et noire redingote se procurer une femme pour un quart d’heure ou une nuit coûtait aussi peu de peine que d’acheter un paquet de cigarettes.", et la syphilis était la maladie de l'époque. Les jeunes hommes atteints sont traités par des frictions au mercure, qui leur déchaussent les dents, et beaucoup préfèrent se suicider lorsqu'ils se savent malades. Pour éviter cette maladie, il était courant de recruter des jeunes filles de la campagne pour vivre dans la maison familiale pendant une dizaine d'années et assumer ce rôle très particulier auprès du fils de la maison.
Isidore est un jeune cireur de chaussures de Manhattan, stéréotype littéraire de la réussite sociale. Pour créer ce personnage, elle s'est inspirée de la biographie à peine romancée de Jesse Livermore dans les Mémoires d'un spéculateur (Edwin Lefèvre, 1923). Les cireurs de chaussures recevaient des " tips " de leurs clients, et c'est un fait bien connu : « Si les cireurs de chaussures en savent autant que moi, c’est qu’il est temps de me retirer ! » (Joe Kennedy)
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J'ai adoré ce roman et une chose est sûre, vous reverrez très bientôt le nom de Camille de Peretti sur ce blog, car j'ai été conquise et je suis bien décidée à lire ses précédents ouvrages, en commençant par Thornytorinx et Le Sang des Mirabelles !