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Rappelez-vous votre vie effrontée, Jean Hegland

lavaliseauxlivres

4 min de lecture

janv. 7

36

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« Comme Shakespeare nous le rappelle sans cesse, nous allons tous mourir. C’est ce qui se passe pendant que nous vivons qui doit compter – ce que nous apprenons, ce que nous savons, ce que nous finissons par comprendre avant de disparaître. » (Edition Phébus, P. 22)




Cette semaine, en ouvrant ma valise aux livres, je tombe sur Rappelez-vous votre vie effrontée, le troisième roman de Jean Hegland. Ses deux précédents livres sont Dans la forêt  (qui a connu un petit succès auprès des lecteurs dont je fais partie)  et Apaiser nos tempêtes.






Le nouveau roman de Jean Hegland raconte l'histoire de John Wilson, professeur de littérature à la retraite et spécialiste de Shakespeare, qui souffre de la maladie d'Alzheimer. Assis dans une pièce, il est prisonnier de sa tête et d'une temporalité distordue, où les citations de Shakespeare cohabitent avec ses souvenirs. Miranda, sa fille de 26 ans, apprend sa maladie et revient dans sa vie après 10 ans de silence.

 

Ce livre est un magnifique témoignage sur l'amour de la littérature et son pouvoir, la maladie de l'oubli et le droit à une seconde chance. Il faut saluer la remarquable traduction de Nathalie Bru, depuis les citations de Shakespeare qui abondent dans le livre jusqu'au titre, Still time, en anglais, modifié en Rappelez-vous votre vie effrontée.



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Il n'a « jamais perdu sa conviction qu’étudier William Shakespeare pouvait aider chacun à vivre une vie plus riche. » (P.31)

Dès son plus jeune âge, « friand d’histoires » John Wilson se découvre une véritable passion pour les livres, et le pouvoir des mots qui le fascinent. Les livres « l’emportent au-delà de lui-même de telle sorte que, lorsqu’il redevient John, il se sent plus vaste. » (P.34)

Passionné par Shakespeare, il attend avec impatience la retraite pour se consacrer pleinement à son œuvre où « chaque ligne était un jardin inépuisable, chaque mot un trésor en soi… » (P.59) et publier.



Mais la maladie en a décidé autrement. « Son cerveau est comme un collier cassé – certaines perles sont perdues à jamais, mais le reste est juste éparpillé. » (P.132) et sa dernière épouse, la douce Sally, n'a d'autre choix que de le placer dans une institution spécialisée.


« Il est assis dans une chambre. Une chambre à coucher inconnue aux murs verts. Il regarde à travers une vitre…» (P.175). John passe son temps devant la fenêtre de sa chambre, emmuré physiquement et mentalement. Il perd la notion du temps, le passé côtoie le présent, le temps est étrange et disloqué. Cette chambre verte est-elle une référence à la « green room », les coulisses au théâtre ?  « Au théâtre, comme un sas de décompression, des limbes et un purgatoire, la chambre verte est un entre-deux… » (P.176)

 

« William Shakespeare, avec ses romances, a accédé à une dernière vision transcendante célébrant le triomphe de l’art et le cadeau des secondes chances.» (P.45)

Comme dans Le Conte d'hiver, Jean Hegland raconte l'histoire d'une seconde chance. Miranda n'a pas vu son père depuis près de dix ans, à la suite d'un malentendu survenu à Londres. Son père a l'honneur de prononcer le discours d'ouverture de la conférence de l'International Shakespeare Society, une occasion de faire avancer sa carrière. Partie pour une simple promenade dans les rues inconnues de Londres, elle disparaît pendant 24 heures et manque le discours de son père, qui, inquiet de sa disparition, manquera l'occasion de briller.

 

Après une série de non-dits et de malentendus, ils quittent la vie l'un de l'autre. Lorsque Sally l'appelle pour lui annoncer la maladie de son père, elle lui rend une visite de réconciliation. Parviendront-ils à réparer leur relation brisée ? Réussiront-ils à surmonter leur passé et, malgré la maladie et leurs mondes opposés, Miranda préférant l'univers des jeux vidéo à celui de Shakespeare, à communiquer?

 

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Shakespeare nous parle de la fin, tout comme Jean Hegland imagine la fin de la civilisation occidentale dans son premier roman, Dans la forêt, et explore la fin de vie d'un homme atteint de la maladie d'Alzheimer qui s'accroche à l'univers shakespearien ici.

 


Le père de Jean Hegland est mort avec l'exemplaire des œuvres complètes de Shakespeare qu'il avait l'habitude d'étudier, sur ses genoux, et sa mère, en attente de déclin cognitif, était encore capable de citer de longues tirades shakespeariennes. Elle a hérité son amour de Shakespeare de ses deux parents et a fréquenté les théâtres avec sa famille dès son plus jeune âge.


Rappelez-vous votre vie effrontée est un véritable coup de cœur. Jean Hegland réussit un tour de force dans ce huis-clos dans la tête de John Wilson, où les tirades de Shakespeare font écho à ses souvenirs et à ses pensées. Impossible de rester indifférent face à ce professeur érudit, passionné et ambitieux, qui se retrouve peu à peu piégé dans cette existence vide et sans fin. J'ai également été touchée par l'histoire attachante de Miranda, qui s'accroche aux secondes chances en renouant avec son père et en reprenant ses études.

Et puis... j'aime les livres qui racontent d'autres livres, et cette plongée sous-marine dans l'univers de Shakespeare est une véritable prouesse et m’a enchanté. Honnêtement, à part Roméo et Juliette, je connaissais très peu l’ensemble de son œuvre. Et je n'ai pas résisté à la tentation d'acheter quelques-unes de ses pièces pour pouvoir les lire et les feuilleter à loisir.


« Lisez Shakespeare encore et encore ».


Donne-moi mon Roméo et, quand je mourrai,
Prends-le et découpe-le en petites étoiles,
Et il rendra le visage du ciel si beau
Que le monde entier sera amoureux de la nuit,
Et cessera d’adorer l’éblouissant soleil.

Roméo et Juliette



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