LA VALISE AUX LIVRES
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Veiller sur elle, Jean-Baptiste Andrea - Prix Goncourt 2023
29 déc. 2023
Temps de lecture : 4 min
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Rencontre littéraire à la Librairie Coiffard - Nantes, le 28 novembre 2023
« Nous sommes une symphonie. Et même la musique a besoin de silence. » Viola à Mimo. (Edition L’Iconoclaste, P. 458).
Cette semaine, ma valise aux livres se pose en Italie et plus précisément à Pietra d’Alba, « belle avec sa pierre un peu rose – des milliers d’aubes s’y étaient incrustées. » (P.47).
Dans son quatrième roman, Veiller sur elle - Prix Goncourt 2023, Jean-Baptiste Andrea peint une fresque autour des thèmes qui lui sont chers : l'art, l'âme de l'enfance - caractérisée par l'audace, la témérité et la détermination, les amitiés immuables, sans oublier les amours impossibles.
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L’Italie – l’art sacré :
Cette histoire débute dans une abbaye perchée au bord du vide, au chevet d’un mourant qui « veille sur elle. Elle qui attend dans sa nuit de marbre, à quelques centaines de mètres de la petite cellule. » (P.19). Ce mourant, nous le devinons, est sculpteur. « Il fait partie du lieu, aussi sûrement que le cloître, ses colonnes, ses chapiteaux romans, dont l’état de conservation doit beaucoup à son talent. » (P.10)
Dès les premières pages du livre, l'écriture très visuelle de Jean-Baptiste Andrea nous transporte dans cette Italie qu'il connaît bien. Il a grandi non loin et affectionne particulièrement ce pays, où il a découvert l'art de la Renaissance italienne. Il a développé un intérêt et une sensibilité pour l'art dit sacré - qui permet de se connecter à quelque chose de plus grand que soi - qui ne l'ont jamais quitté depuis. Ancien membre de la Société des Amis du Louvre, l'art est pour lui une véritable source d'énergie qui lui permet de s'évader à la fois de son quotidien et de lui-même. Il n'est pas rare qu'il se rende dans un musée pour se poser devant une œuvre d'art, se vider la tête et se ressourcer.
Dans ses romans, il extériorise ses expériences, ses passions et ses sentiments. C'est donc tout naturellement que dans son dernier roman, Veiller sur elle, il nous emmène en Italie pour nous faire découvrir sa vision de l'art en nous plongeant dans l'univers de la sculpture sur pierre.
C'est un sculpteur et sa mystérieuse sculpture de marbre, dissimulée aux yeux du public, qui donnent son titre au livre. Une sculpture qui, pour certains, déclenche une forte émotion, appelée syndrome de Stendhal. Une sculpture dont le secret n'est révélé que dans les dernières pages. Une sculpture qui symbolise le vertige que l'auteur a ressenti en découvrant l'Italie à l'adolescence.
Cette sculpture est avant tout l'histoire d'une amitié qui n'aurait jamais dû naître, une amitié indéfectible entre les deux protagonistes du roman : Mimo et Viola. C'est aussi l'histoire d'un amour impossible, car tout sépare ces deux destins qui nous plongent dans l'Italie des deux guerres mondiales.
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L’enfance – A la conquête des cieux :
Michelangelo, Mimo est le narrateur. Différent, il sera « un homme de secondes chances » (P.292). Sa mère le confie en apprentissage à son oncle, un médiocre sculpteur de pierre alcoolique qui vit à Pietra d'Alba. Mimo a du talent et les pierres lui parlent. Il y rencontre Viola Orsini, fille de la riche et puissante famille locale. « Viola me tendit la main et je la pris, et c’est à cet instant précis que je devins sculpteur. » (P. 96)
« Viola, au fond, était futuriste. Lui parler, c’était rouler à tombeau ouvert sur une route de montagne J’en revins toujours épuisé, terrifié, exalté, ou un mélange des trois. » (P.94). Viola est une jeune fille indépendante et assoiffée de connaissances, qui se faufile dans la librairie de son père pour y dérober livre après livre. Elle impose bientôt des lectures à Mimo, et une souche creuse leur sert de bo îte aux lettres. « J’avais sous-estimé la puissance des bibliothèques, qui m’avaient pourtant arraché à l’obscurité et même offert un peu de tendresse. […] Viola me donnait une nouvelle leçon - la vraie vie était dans les livres. » (P.414).
Jean-Baptiste Andrea nous confie que pour lui, les livres ont quelque chose de magique, et qu'il suffit de trouver LE bon livre pour s'ouvrir à toute une multitude de mondes. La lecture nous façonne.
Son livre magique : sans doute Martin Eden de Jack London, qui l'a particulièrement marqué. Enfant, il se projette dans le héros qui devient écrivain. "Recevoir le Prix Goncourt 2023, c'est renouer avec ce garçon de 9 ans qui rêvait de devenir écrivain".
Sa dernière lecture : Ce que je sais de toi d'Éric Chacour.
L'un de ses livres préférés : le Prix Goncourt 2021, La Plus Secrète Mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr.
A travers l'intrépide et déterminée Viola, Jean-Baptiste Andrea dresse un portrait de l'enfance telle qu'il la conçoit : une période de la vie où l'on est rempli de force, d'énergie, d'une capacité à se renouveler, à se relever, et tout simplement à refuser toute abdication.
« Mes parents sont vieux. Je ne parle pas de leur âge. Ils sont d’un autre monde. Ils ne comprennent pas que demain, nous volerons comme nous montons à cheval. Que les femmes porteront la moustache et les hommes des bijoux. Le monde de mes parents est mort. » (P. 135).
Viola veut voler. Voler pour fuir sa condition de femme. Voler en résistance à la violence patriarcale qui régente son monde. Voler pour être libre tout simplement. Avec Mimo, elle entreprend la construction d’une machine à voler. « J’ai bientôt seize ans. Et je ne vole toujours pas. Je ne serais jamais Marie Curie. » (P.170). La violence que subit Viola - de la part de sa famille et de la société - fait écho à la violence du fascisme. Le récit, qui commence en 1916 et se termine en 1986, couvre les deux guerres mondiales.
L'auteur préfère présenter son livre dans ses grandes lignes, sans en dévoiler tous les secrets, afin que les lecteurs qui ne l'ont pas encore lu puissent être surpris par les rebondissements narratifs.
Je vous laisse donc découvrir les petites pépites et autres trouvailles poétiques qui abondent dans ce roman. Jean-Baptiste Andrea est un conteur né. Il décrit de manière très romanesque sa vie qui ne l'est pas. Son désir de créer des héros qui partent de rien pour devenir quelqu'un fait écho à sa volonté de ne pas se laisser détourner de son rêve d'enfant.
L'épopée du quotidien, c'est de ne jamais renoncer !