Éden, Audur Ava Olafsdottir
- lavaliseauxlivres
- 11 déc. 2023
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 déc. 2023
Rencontre littéraire à la Librairie Coiffard - Nantes, le 17 novembre 2023.
« Le jardin est le lieu où advient la rencontre avec soi-même. »
(Editions Zulma - P.197)
Cette année, nous retrouvons avec plaisir l’écrivaine Islandaise Audur Ava Olafsdottir, connue notamment pour Rosa Candida et Miss Islande (Prix Médicis Etranger – 2019) avec son neuvième roman, Éden.
Nous y découvrons Alba, linguiste et relectrice-correctrice Islandaise, se rendant à un colloque sur les langues en voie d’extinction organisé dans un petit village isolé. Elle y accède en traversant une forêt partiellement brulée par la sècheresse. Peu après, elle calcule qu’il lui faudrait planter 5600 arbres pour compenser son emprunte carbone d’une année (seulement !) liée à ses déplacements professionnels. Tout comme son héroïne, Audur Ava Olafsdottir voyage beaucoup en avion, et l’année précèdent le Covid, elle avait visité 16 fois le continent pour la promotion de son dernier livre. Ayant calculé que sa compensation carbone pour un trajet aller-retour correspondait à 350 arbres (soit 5600 au total), elle nous introduit donc son dernier livre comme une réflexion sur sa honte, sa culpabilité et son éco responsabilité.
« J’ai rêvé que je volais au ras du sol, au-dessus d’une terre rocailleuse et désolée. […] Puis tout à coup, j’étais dans un potager ou je maniais la bêche, les pieds chaussés des bottes de maman » (P. 29)
Alba se remet en question. Elle achète une petite maison délabrée et isolée sur un terrain de 22 hectares, près d’une rivière, avec le projet d’y planter une forêt de bouleaux et d’y cultiver des pommes de terre.
Le ton est donné, les arbres constituent l’un des sujets principaux de cette fable écologique. D’ailleurs l’un des personnages secondaires les plus attachants, grand amoureux des arbres qui la conseillera pour sa plantation d’arbres via son père, s’appelle Hlynur, érable en Islandais. …
Fable écologique donc mais pas que… !
******
« Il meurt une langue tous les vendredis » (P.197) – Bon, en réalité, il en meurt une toutes les deux semaines nous dira l’auteur, mais cela était moins poétique !
Environ 7000 langues sont parlées dans le monde mais on estime qu’à la fin de notre siècle, 90% auront disparu. Et la perte de ces langues entrainera la disparition de cultures, de façons différentes de voir les choses et de penser qui sont l’une des richesses de notre monde actuel.
Autour de la simple réflexion qu’en Islandais on utilise le même mot pour maison et monde (d’où découlerait l’idée que l’on est chez soi partout) ainsi que pour partager et se disputer, Audur Ava Olafsdottir a eu l’inspiration d’écrire un livre ou l’Islandais serait à l’honneur.
Audur Ava Olafsdottir nous livre donc aussi un roman sur la perte. Celle des langues ; et celle du monde tel que nous le connaissons aujourd’hui, dû au réchauffement climatique. Mais comme dans tous ces livres précédents, elle y cache les messages, les ramènent à l’échelle humaine. Ce roman est lumineux, une ode à l’espoir. Elle-même rassure les lecteurs ne l’ayant pas encore lu en nous dévoilant la dernière phrase de son livre : « Ça ira, dis-je. Tout ira bien. » (P.241). [Sacrilège ai-je pensé que de lire la dernière page d’un roman en premier, mais c’est comme cela qu’elle-même choisi les livres qu’elle achète, en allant directement à la dernière page !]
« Il peut m’arriver, au milieu d’une conversation, de perdre le fil parce que mon esprit s’arrête sur un mot qui vient d’être prononcé. Je me mets alors aussitôt à penser à la manière dont le mot se décline, à sa racine et à ses dérivés. » (P. 51)
Le récit s’articule autour des pensées d’Alba, linguiste passionnée qui ne déconnecte jamais, ses pensées évoluant sans cesse autour des mots et leurs déclinaisons. Au travers d’Alba, Audur Ava Olafsdottir, partage son amour pour les mots et la grammaire de sa langue maternelle, une langue difficile et uniquement parlée par ses 364 000 habitants, menacée d’extinction.
Un de mes passages préférés de ce livre est celui où l’héroïne, ne pouvant garder tous ses livres après son emménagement, les met en vente dans la boutique de la Croix-Rouge du petit village. Contre toute attente, ils se vendent comme des petits pains et au détriment des romans policiers, car les villageois font preuve « d’un grand intérêt pour la grammaire » (P.141). Ils lisent même ses livres au club de lecture, avides des annotations laissées ici et là dans leurs marges et qui permettent de mieux la cerner !
Audur Ava Olafsdottir nous confie que c’était l’un de ses souhaits que d’écrire un livre où la grammaire pouvait être plus populaire que les polars.
******
« Il n y a pas que des cétacés qui échouent sur les côtes de ton pays, il y aussi des gens » (P. 150)
Orbitent autour d’Alba des personnages secondaires attachants notamment Danyel un jeune réfugié qui apprend avec ferveur et aisance la langue Islandaise. Alba et lui s’adopteront réciproquement.
Audur Ava Olafsdottir nous rappelle que nous sommes tous des visiteurs de court passage sur la planète, et que nous avons le même ancêtre. Née dans un pays insulaire entourée d’eau seulement, Audur Ava Olafsdottir nous avoue avoir été très intriguée petite par cette notion de frontières. Magnifiquement écris, le premier chapitre décrit avec poésie le fait que nous sommes tous connectés, qu’en orbite les frontières disparaissent et que (en parlant des rivières, « la même eau, le même poisson qui nait dans un pays et qu’on pêche dans un autre » (P. 11)
J’apprécie beaucoup son style toujours empreint de poésie et d’une grande délicatesse, littérature ou les hommes s’y retrouvent autant que les femmes. Elle y conserve le même format que pour ses précédents livres : un récit articulé autour de petits chapitres titrés qui en rend la lecture facile et agréable, un style d’écriture simple et fluide et surtout un livre tout doux, rempli d’espoir et d’une grande générosité.
Un livre actuel, qui résonne en nous.
… Et puis, la nature brute et brutale de cette Islande volcanique toujours aussi bien décrite.
A lire en savourant la fameuse soupe de cacao de l’auteure (Cette recette apparaît dans le petit recueil de recettes de cuisine à la fin L’embellie !)
Ingrédients :
2 cuillères à soupe de cacao
2 cuillères à soupe de sucre
250 ml d’eau
1 l de lait
1 cuillère à soupe de fécule de pomme de terre
Quelques gouttes d’extrait de vanille et un soupçon de sel
Préparation :
1-Mélangez le cacao, le sucre et 200 ml d’eau. Portez à ébullition et laissez bouillir 5 mn.
2-Versez le lait sur le mélange et ramenez à ébullition,
3-Délayez la fécule dans 50 ml d’eau froide très légèrement salée et ajoutez-la à la préparation chocolatée. Laissez bouillir jusqu’à ce que la soupe épaississe,
4-Ajoutez l’extrait de vanille à la fin et retirez du feu.
A dégustez avec des biscottes que chacun cassera dans son assiette en laissant les morceaux flotter à la surface.
On déposera alors sur les biscottes de la crème fouettée bien ferme.






